DE TOUTES LES COULEURS, PEINTURE D'HISTOIRE, 1991-1992, SERIE

DE TOUTES LES COULEURS, PEINTURE D'HISTOIRE, 1991-1992, SERIE "QUADRICHROMIES - huile sur toile, 320 x 920 cm

Oeuvres de Gérard Fromanger, exposées au Palais synodal de Sens, du 1er juillet au 3 octobre 2022

ANNONCEZ LA COULEUR !

Exposition d'une partie des oeuvres de Gérard Fromanger, du 1er juillet au 3 octobre dans le Palais synodal de Sens. Visite du samedi 10 septembre 2022.

" Contexte de l'exposition

 L’aventure qui aboutit ce soir a débuté il y a presque trois ans, en 2019 avec cette proposition qui nous a été faite de présenter une sélection de toiles de l’artiste. Ce projet, qui avait été prévu une 1ère fois en 2012, n’avait jamais été reconsidéré, malgré le coup de cœur qu’avait eu Gérard Fromanger pour la salle synodale. En 2019, à Avallon, à l’occasion d’un autre accrochage d’« Annoncez la couleur », rendez-vous avait été pris pour concrétiser enfin ce projet. Puis tout fut reporté par la COVID, après laquelle les engagements de Gérard Fromanger se sont télescopés. Puis, encore hélas, la disparition de l’artiste au printemps dernier, qui a suspendu encore une fois la préparation de cette exposition.

Mais le projet a pu être mené à bien, et l’exposiiton a ouvert le 1er juillet avec une vingtaine d’œuvres qui ne dressent pas une rétrospective complète (les 350 m² du palais n’y suffiraient pas) mais donnent à voir le travail de l’artiste sur 50 ans, de 1968 à 2019.

Biographie peintre

GF est né en 1939 en Île de France, son père lui-même était peintre amateur et donc le passage à l’école des beaux-arts de Paris, après le bac n’est pas un problème. Dès 1964, à 25 ans il entre dans la galerie Aimé Maeght. La galerie Maeght ouvre à Paris en 1946 et devient la galerie exclusive des plus importants artistes de l'époque : Kandinsky, Léger, Matisse, Bonnard, Braque, Giacometti, Chagall, Miró, Calder, ce même Aimé Maeght qui établira en 1964 la Fondation Maeght à St Paul de Vence.

Toute sa vie GF sera attentif à l’amitié, proche de peintres mais aussi de philosophes et d’artistes d’autres médiums (Godard), avec qui il a en commun un engagement politique à gauche, voire de gauche extrême. Il participera en 1974 à un voyage d’artistes en chine, voyage non dénué bien sûr de connotations politiques à une époque où le maoïsme est en vogue parmi les intellectuels français.

Il sera assez vite reconnu : Dès 1965 son travail est remarqué, il aura une 1ère expo personnelle à Pompidou dès 1980 avec la série ‘tout est allumé ‘ – puis une rétrospective à Pompidou également en 2015, après plusieurs autres rétrospectives à l’étranger (Luxembourg, Japon, Corée du Sud, Cuba) et des expositions personnelles ou collectives dans des galeries new-yorkaises.

Il disparait en 2021, âgé de 82 ans.

Parcours/plastiques

Le titre de l’expo « Annoncez la couler » indique l’angle principal de l’œuvre de GF, mais pas l’unique comme je vous l’indiquerais plus tard. Il fait aussi référence à une série des années 1972-73 qui portait ce titre.

Un autre aspect important est l’organisation de l’œuvre en séries programmatiques, qui se réfèrent les unes aux autres, à travers les périodes de l’artiste, tout au long d’une évolution esthétique et artistique propre.

Durant la visite, il sera encore question de deux axes : le rapport à l’histoire et l’histoire de l’art ; ainsi que le rapport au mouvement et à la fluidité.

MAI 68 : un avant et après pour l’œuvre de Gérard Fromanger

Les années 60 : départ de l’œuvre

GF commence à peindre et à exposer en tant qu’artiste professionnel dès le début des années 1960, dans un style déjà très coloré, très tranché, influencé par le pop art américain (Warhol et Lichtenstein) mais aussi la figuration narrative française (Monory, Rancière…). Il connaitra une période abstraite et conceptuelle avec la série « Tableaux en question » et « paysages découpés » qui lorgnent du côté de Duchamp. Les grands principes sont en place : primat de la couleur sur le dessin, traitement en aplats et recours à la coulure, jeu et code entre le titre et la toile, …

Pendant Mai-68

Déjà proche des milieux militants et intellectuels de gauche, par sa formation et ses amitiés, GF passe en Mai-68 à un engagement plus direct et plus explicite dans son œuvre.

Tout d’abord, il participe au célèbre Atelier populaire de l’école des Beaux-arts où sont créés et imprimés les fameuses affiches politiques à slogans qui ont marqué toutes les années 70. De la sérigraphie, il tirera la série « Album le rouge » qui se répartit en deux groupes de 9 images : drapeaux et sérigraphies tirées de photo d’Elie Kagan (photo reporter). On voit la coulure des drapeaux se répéter également sur le film de Jean-Luc Godard – le message politique est donc complet : la France qui tourne au rouge.

Les éléments qui vont marquer son œuvre qui découlent de Mai-68

De mai 68, GF gardera plusieurs éléments :

- Le lien à l’histoire et à l’actualité, en Mai 68 il a eu le sentiment de participer à un moment historique, son œuvre sera ensuite imprégnée d’un rapport à l’histoire et aux moments historiques qu’il traversera

- Un engagement politique à travers la peinture, conscient de son rôle d’artiste dans la société, de son rôle de relais des idées philosophiques ou sociales qui l’animent

Un peintre face à l’histoire :

Noir, nature morte Quadrichromie 1994/95

Toile intime, liée à la mort du père de l’artiste

Toile complexe puisqu’elle articule le modèle du monument Viêtnam Vétérans mémorial à Washington DC (noms des 58 156 soldats tués pendant la guerre du Vietnam entre 1959 et 1975). GF sélectionne 660 noms de peintres, dans l’ordre alphabétique ici. Inscription dans l’histoire de l’art par le titre « Nature morte » : titre ironique car le peintre ne pense pas que la peinture soit morte avec ces artistes des siècles passés. Au contraire, comme pour un mémorial, l’énumération et le rappel des noms ravive la généalogie, l’histoire de la peinture, la place de chacun dans une aventure collective.

Cela peut être vu comme un hommage, bien que GF n’ait pas explicité les critères de son choix (hasard ou sélection de peintres qui l’ont marqué / influencé à quelque titre que ce soit ?) ou bien tout simplement comme un générique télé, sobre et factuel.

Le caractère aléatoire de la sélection des noms renvoie aussi à l’arbitraire de la mort au champ de bataille : ceux qui tombent meurent sans raison…

Batailles - 1995

Série de 25 toiles, inspirée par la Guerre du golfe

Les accents antimilitaristes sont aussi présents dans la série des Batailles

On retrouve le système de couleurs primaires associées, de motifs qui se répondent et sont repris (ici : silhouettes de tanks, bateaux militaires, etc…) avec le nom de peintres – le tout lié par des droites et courbes comme autant de stratégies, de parcours militaires, etc… dispositif cohérent, systématique entre les cinq couleurs déclinées et organisées sur les 5 éléments (foncé, texte, silhouettes engins, traits/courbes…) des 25 toiles de la série complète – ici il n’y en a que 10)

Un peintre face au monde – une peinture du mouvement

Bastille Dérives 2007 : une toile complexe ici aussi

Le titre de l’œuvre fait référence à la théorie de la « Dérive », pratique artistique et militante théorisée par Guy Debord, philosphe français très influent au cours de Mai-68.

GF crée le mouvement situationniste, inspiré du texte de Guy Debord " La société du spectacle" écrit en 1967, l’un des ouvrages les plus marquants de l’époque qui dépasse le marxisme et Hegel. Il s'inspire également de la psychogéographie (qui a ses racines dans le surréalisme de Breton).

La dérive urbaine constitue le principal outil pour appréhender « le relief psychogéographique », c’est-à-dire le changement d’ambiance au sein de la ville, de ses quartiers et de ses rues. Ces espaces urbains que l’Internationale situationniste nomme « unités ambiances » sont les lieux dont les caractéristiques sont homogènes. L’objectif de la dérive, qui se déroule à pied, est de localiser ces ambiances, de les évaluer et de les expliquer. À partir de ces observations récoltées sur le terrain, les « psychogéographes » reportent et localisent ces aires d’ambiances sur des cartes. Une « dérive consiste donc à se promener en groupe, à suivre un parcours alétatoire dans une ville, guidé par les éléments d’ambiance, sonores, olfactifs, puis ensuite à dresser une carte. Acte politique en ce qu’il cherche à déjouer l’urbanisme, la rationnalité économique de l’aménagement urbain, par une action ludique et artistique…

Mais aussi une référence à la théorie du rhizome de G Deleuze. Initialement le mot « rhizome » vient des sciences naturelles et désigne des plantes racinaires comme le gingembre, le riz ou le bambou pour lesquels les racines constituent des réserves alimentaires qui se développent en un réseau très étendu. Le philosophe français G Deleuze développe dans les années 70 (le livre Mille Plateaux) la notion philosophique de rhizome qui désigne une organisation dépouruve de centre, non structurée, non hiérarchique, qui se développe de proche en proche, dans des directions aléatoires (et on voit partant de là les implications politiques et sociales d’un tel modèle), et ce qui est représenté ici, également dans les parcours qui se superposent à la trame urbaine autour de la Place de la Bastille.

Tout d’abord GF établit une connexion entre la Révolution Française et mai-68 et ses suites. Ensuite, il élabore un rapport entre deux temporalités, celle de l’instant et celle du parcours en les unifiant par le même traitement esthétique : des courbes qui tracent le contour des silhouettes et du paysage d’un côté, des courbes comme un réseau à partir du point central de la Place de la Bastille à travers le réseau viaire. Les flux, les parcours cinétiques, sont consotutifs des êtres humains, c’est dans le mouvement qu’ils existent. Et c’est par ce mouvement qu’ils « font » la ville, qu’ils la constituent individuellement et collectivement. Toute comme la foule est la somme des individus, la ville est la somme des parcours particuliers.

Cardiogrammes :

Toujours la gamme colorée simple de GF, avec ici la confrontation de deux élements : les groupes de silhouettes et la représentation de lignes brisées assimilables facilement à des ECG avec le rythme caractériqique systole diastole : le rythme de la vie devient saccadé, arbitrairement accroché à la résistance du muscle cardiaque dont les oscillations ici sont clairement agressives (opposition aux courbes des parcours suivis par les dérives des piétons de la place de la Bastille)

le cœur fait ce qu’il veut

- silhouettes colorées signature de GF, qui traversent son ouvre depuis mai 68.

Deux aspects : tout d’abord la couleur : foule n’est pas grise, uniforme, mais multiple, individuée ; ensuite référence au mythe de la création du dessin et de la peinture par Callirhoé.

Pline l'Ancien raconte dans son œuvre Histoire naturelle que Callirrhoé (à Sicyone en Grèce – auj prroche de Corinthe) avait imaginé de tracer avec du charbon de bois l'ombre de son amant qui devait partir à la guerre, dont le profil était dessiné sur une muraille par la lumière d'une lampe. Les grecs anciens situèrent là l'origine de la peinture.

Avec « Impression Soleil levant 2019 », le dynamisme de la foule en mouvement est accentué par le dynamisme radio-centrique des ondes de couleur : sorte de carte stellaire d’un système solaire.

Carbon black 2015

Drame des migrants, fond noir inquiétant, référence au Radeau de la Méduse Géricault (date ?)

L'engagement reste entier : avec ce groupe de migrants en route (ou pas) vers une foule en mouvement, qu’on imagine dans un pays occidental…

Conclusion avec de toutes les couleurs – peinture d’histoire

Grande toile au fond, fait partie d’une série de 4 grands formats monumentaux « rouge nus » « bleu paysage », « jaune Bastille », noire nature morte : les couleurs correspondent aussi aux genres de la peinture classique : le nu/portrait ; le paysage, la scène de genre pour Jaune, et enfin la peinture d’histoire (les grands événements, batailles, etc..) qui se condensent ici dans le chef d’œuvre de l’exposition (selon moi bien sûr).

Qualifié de Guernica, car réalisé pendant la Guerre du golfe ici aussi : spectacle des bombardements, reprise des motifs de GF : silhouettes d’engins militaires, portrait de l’artiste en train de peindre (pinceau avec rouge), qui sont recouverts d’éclaboussures, de coulures, de taches….

Les traits colorés, reprise d’un motif déjà utilisé, deviennent ici un réseau entre les images découpées et juxtaposées, comme un circuit imprimé géant…

C’est tout à la fois un assemblage qu’un hommage autant à Guernica qu’à Courbet et son atelier du Peintre (Orsay - …)

2ème référence à Courbet : Origine du monde évoquée par un nu plus que suggestif en pendant de l’artiste assis à son chevalet…"

Texte de Nicolas Potier

Directeur du Tourisme et du Patrimoine

Communauté d'Agglomération du Grand Sénonais

DIAPORAMA

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