Ce lundi 2 novembre, jour de la rentrée scolaire après les vacances de la Tousaint, les élus municipaux de Saint-Loup-de-Naud, rendaient un hommage assez inhabituel, à Samuel Paty devant l'entrée de leur école.
Un hommage sous forme de protestation
Ou une protestation sous forme d'hommage, c'est selon le point de vue de chacun, ce matin, pour accueillir les élèves et leurs parents.
Gilbert Dal Pan, Maire de la commune de Saint-Loup-de-Naud, était accompagné de ses adjoints et conseillers, pour expliquer le sens de leur protestation contre ce qui s'apparente à leurs yeux, comme leur éviction d'une cérémonie républicaine, décidée par le Ministère de l'Intérieur.
La représentation républicaine
Comme l'expliquaient les élus aux parents, le premier maillon de la chaîne républicaine est d'abord représentée par le Conseil municipal. Bien évidemment si les enseignants sont également un maillon important de cette chaîne, fallait-il pour autant évincer les élus municipaux de cet hommage rendu à Samuel Paty, par l'observation d'une minute de silence, suivie de la lecture de la lettre de Jean-Jaurès, adressée aux ensignants ?
Forts de leur conviction d'élus de la République, ils ont tenu à réagir en le faisant savoir aux Parents et à leurs enfants.
Lettre de Jean-Jaurès
En 1888, Jean Jaurès écrit à l’époque des chroniques pour La Dépêche de Toulouse. Ce texte a été écrit alors que l’homme politique a 29 ans seulement. Selon le site de la BNF, «ses grandes thématiques futures sur la question scolaire sont déjà présentes: la lecture pour toutes et tous, clé incontournable de l’accès au savoir ; la liberté pour les enseignants de constituer leur propre bagage intellectuel ; la critique des méthodes d’enseignement par trop formatées...»
Lettre aux instituteurs et aux institutrices (1888)
"Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie.
Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire: son corps et son âme.
Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation.
Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères: l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur: la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation.
Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort.
Eh quoi! Tout cela à des enfants! — Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler. Je sais quelles sont les difficultés de la tâche. Vous gardez vos écoliers peu d’années et ils ne sont point toujours assidus, surtout à la campagne. Ils oublient l’été le peu qu’ils ont appris l’hiver. Ils font souvent, au sortir de l’école, des rechutes profondes d’ignorance et de paresse d’esprit, et je plaindrais ceux d’entre vous qui ont pour l’éducation des enfants du peuple une grande ambition, si cette grande ambition ne supposait un grand courage. […] Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale, il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité.
Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. De ce que l’on sait de l’homme primitif à l’homme d’aujourd’hui, quelle prodigieuse transformation! et comme il est aisé à l’instituteur, en quelques traits, de faire sentir à l’enfant l’effort inouï de la pensée humaine!
Je dis donc aux maîtres, pour me résumer:
lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront.»